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On était au début de l’hiver. L’automne avait été superbe mais là c’était bien fini. Les arbres avaient perdu toutes leurs feuilles, le temps était plus que maussade, et même il pleuvait. Je venais de regarder une cassette de science fiction quand j’entendis sonner à ma porte. Jetant un coup d’œil par la fenêtre, la tête pleine d’image d’ovni, et voyant le brouillard descendre je me dis que c’était franchement pas un temps à laisser un chien dehors et encore moins des gens venus de l’espace ! Je souriais de mes pensées en allant ouvrir et je restais pétrifiée devant l’apparition : Patricia ! Deux ans avaient passé depuis le jour où on avait retrouvé sa voiture sur la petite route.
- Tu me laisses entrer, dit-elle, j’ai besoin d’aide ! »
Je m’effaçais pour la laisser passer et je refermais la porte doucement. Patricia se dirigea alors vers la cheminée où flambait un bon feu de bois. Elle était vêtue d’une longue robe verte, si toutefois on peut donner le nom de robe à ce qu’elle avait sur le dos, et d’espadrilles de la même couleur.
- « Bon sang mais où étais-tu, lui dis-je, on t’a cherchée partout ! Et t’es pas folle de te balader dans cet accoutrement, en cette saison ?
- C’est agréable un feu de bois, répondit-elle, je vais te raconter mais avant tu dois me promettre de garder le secret.
- Evidemment ! Mais avant, va prendre une douche chaude, tu connais la maison ! Tu as des affaires de rester de la dernière fois, dans la chambre d’ami. Je vais préparer le repas.
- Merci… »

Patricia sortit de la pièce et j’entendis bientôt la douche couler. Elle réapparut un moment plus tard vêtue d’un jean et d’un gros pull de laine irlandaise. J’avais préparé une omelette et de la salade. Nous mangeâmes en silence, puis je lui servis un café auprès du feu.
- « Et maintenant, raconte, lui dis-je. »
Quand elle eu fini son récit, je me demandais si mon amie n’était pas tombée sur la tête ! C’était bien l’histoire la plus extravagante qu’il m’eut été donné d’entendre, pourtant elle paraissait sérieuse.
- « Tu ne me crois pas n’est-ce pas ? Dit-elle.
- Euh… J’ai un peu de mal…
- Mais acceptes-tu de m’aider sans dire qui je suis ?
- Bien sur, lui répondis-je. Mais pour l’instant, on va dormir, il fera jour demain. »
J’habite une petite maison perdue dans la campagne, entourée de champs. Mes plus proches voisins sont au village distant de deux kilomètres. Avant que quelqu’un me pose des questions, on avait le temps de trouver une parade. Je dormis mal cette nuit là. Cette histoire rocambolesque tournait et retournait dans ma tête. Au petit matin, je me levais pour préparer le café et cuire des croissants. Autant m’occuper.
Patricia me rejoignit bientôt, fraîche et dispose, et nous déjeunons ensemble.
- « Sais tu si ma maison est toujours libre ?
- Non, ça fait deux ans que tu es partie, le propriétaire l’a relouée, mais toutes tes affaires sont dans le garage.
- Formidable ! »
Pendant que je rangeais un peu la maison et les reliefs du petit déjeuner, Patricia alla farfouiller dans le garage. Je la vis réapparaître avec des bottes aux pieds, ses cartons à dessins sous un bras et sa machine à coudre dans l’autre main.
- « Tu as toujours ta cabane au bout du jardin ? Me dit-elle.
- Oui, pourquoi ?
- Je t’expliquerais… Et toujours pas de clôture ?
- Non, répondis-je, où veux tu en venir ?
- Et ta cabane est toujours vide ?
- Oui, mais elle n’est pas habitable tu sais…
- Je ne veux pas l’habiter, juste y entreposer mes achats le moment venu…
- J’espère que tu me diras au revoir, cette fois.
- Oui… »
Patricia alla remuer les braises de la cheminée, et bientôt une flamme claire s’éleva. Elle ajouta une bûche et s’installa sur le canapé avec ses dessins.
- « Es-tu libre ces jours-ci, me dit-elle ?
- Oui
- Dès cet après midi ?
- Oui, où veux-tu aller ?
- Acheter du tissu et des dentelles, en grande quantité.
- As-tu de l’argent, lui dis-en souriant ?
- Oui, beaucoup, mais y a un hic
- Et lequel ?
- Pourrais-tu les mettre sur ton compte et payer pour moi ? »
J’éclatais de rire.
- « J’espère que tes amis ne t’ont pas fait de la fausse monnaie ! »
Dès le repas terminé, je me rendis à la poste du village, et ayant pris un billet de cinquante euros au hasard dans la pile de mon amie, je demandais à la postière :
-« J’ai une amie à qui on a rendu cet argent, vous pouvez me dire si le billet est bon ? Elle n’ose pas demander… »
La préposée alla vérifier et me répondit : « Y a pas de problème, il est bon mais vous avez bien fait de vérifier, on ne sait jamais. » Je ressortis en remerciant.
- « Bon on peut y aller, dis-je à Patricia. On va aller à la banque faire un dépôt. Ensuite on pourra satisfaire tes envies.
Après la banque, nous sommes allées d’abord acheter cinq grandes malles en les faisant livrer. Puis ce fut le tourbillon des boutiques et des achats : Percale, coton, jersey, soie sauvage, doublure, satin, dentelle, broderie anglaise, nylon, élastique, agrafes, scratch etc… Patricia avait peut-être la tête dans ses étoiles mais je commençais pour ma part à avoir le tournis.
- « Stop, lui dis-je, maintenant on fait des courses pour remplir le frigo !
- D’accord. »
Pendant deux mois, ce fut un vrai marathon. Nous avions écumé quasi tous les magasins, de toute la région et mon salon ressemblait à l’antichambre des Galeries. Puis Patricia, rangea le tout dans ses malles, qu’elle avait préalablement déposées dans la cabane au bout du jardin. Elle avait aussi acheté, des feuilles à dessins, des crayons, des couleurs, des calques, des aiguilles et du fil bien sur, des fils à broder, des fils à crocheter, des crochets de toutes les tailles, des catalogues… Les malles étaient pleines, ras bord et très lourdes.
Ce soir Patricia semblait fébrile. Voyant sa nervosité, je lui demandais :
- « Qu’as-tu ?
- Il est temps de nous dire adieu, dit-elle, je pars cette nuit.
- Comment le sais-tu ?
- Je ne sais pas, dit-elle, mais je le sais. »
Je pris Patricia dans mes bras, la serrais très fort …
Elle disparut un moment, et revint vêtue de sa robe verte avec laquelle elle était arrivée. Je lui pris le bras et nous sommes sorties ensemble jusqu’à l’orée du champs.
Là, quelque chose était posé au bord du champs. La porte de la cabane était ouverte, et les malles avaient disparu ainsi que la machine à coudre, et ma vieille tondeuse. J’éclatais de rire devant l’incongru de l’idée ! S’ils voulaient faire de la broderie avec une tondeuse, ils n’étaient pas sortis de l’auberge, pensais-je. Une sorte de rampe apparut qui sortait de l’engin. Et un homme descendit. Un fort bel homme ! Il fit un geste, et avec un sifflement, la vieille tondeuse reprit sa place. J’étais sidérée.
Patricia m’embrassa encore une fois, l’homme me salua, et prenant la main de mon amie, il disparut avec elle dans l’engin qui ne fut bientôt qu’un trait de lumière dans le ciel.
Levant les yeux vers le ciel, j’y lançait une prière : « Sois heureuse Patricia, et reviens quelquefois… »
J’ai cru entendre deux voix qui disaient ensemble : « Bientôt. »


Fin

Verteprairie

26/11/2006